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La prévoyance de l’abnégation (2)

mercredi 6 mai 2009, par Hugo Victor-Marie

Gilliatt était à quelque distance dans l’obscurité des piliers.

Déruchette le matin en se levant, désespérée, pensant au cercueil et au suaire, s’était vêtue de blanc.

Cette idée de deuil fut à propos pour la noce. La robe blanche fait tout de suite une fiancée. La tombe aussi est une fiançaille.

Un rayonnement se dégageait de Déruchette. Jamais elle n’avait été ce qu’elle était en cet instant-là.

Déruchette avait ce défaut d’être peut-être trop jolie et pas assez belle. Sa beauté péchait, si c’est là pécher, par excès de grâce. Déruchette au repos, c’est-à-dire en dehors de la passion et de la douleur, était, nous avons indiqué ce détail, surtout gentille. La transfiguration de la fille charmante, c’est la vierge idéale. Déruchette, grandie par l’amour et par la souffrance, avait eu, qu’on nous passe le mot, cet avancement. Elle avait la même candeur avec plus de dignité, la même fraîcheur avec plus de parfum. C’était quelque chose comme une pâquerette qui deviendrait un lys.

La moiteur des pleurs taris était sur ses joues. Il y avait peut-être encore une larme dans le coin du sourire. Les larmes séchées, vaguement visibles, sont une sombre et douce parure au bonheur.

Le doyen, debout près de la table, posa un doigt sur la Bible ouverte et demanda à haute voix :

- Y a-t-il opposition ?

Personne ne répondit.

- Amen, dit le doyen.

Ebenezer et Déruchette avancèrent d’un pas vers le révérend Jacquemin Hérode.

Le doyen dit :

- Joë Ebenezer Caudray, veux-tu avoir cette femme pour ton épouse ?

Ebenezer répondit :

- Je le veux.

Le doyen reprit :

- Durande Déruchette Lethierry, veux-tu avoir cet homme pour ton mari ?

Déruchette, dans l’agonie de l’âme sous trop de joie comme de la lampe sous trop d’huile, murmura plutôt qu’elle prononça : - Je le veux.

Alors, suivant le beau rite du mariage anglican, le doyen regarda autour de lui et fit dans l’ombre de l’église cette demande solennelle :

- Qui est-ce qui donne cette femme à cet homme ?

- Moi, dit Gilliatt.

Il y eut un silence. Ebenezer et Déruchette sentirent on ne sait quelle vague oppression à travers leur ravissement.

Le doyen mit la main droite de Déruchette dans la main droite d’Ebenezer, et Ebenezer dit à Déruchette :

- Déruchette, je te prends pour ma femme, soit que tu sois meilleure ou pire, plus riche ou plus pauvre, en maladie ou en santé, pour t’aimer jusqu’à la mort, et je te donne ma foi.

Le doyen mit la main droite d’Ebenezer dans la main droite de Déruchette, et Déruchette dit à Ebenezer :

- Ebenezer, je te prends pour mon mari, soit que tu sois meilleur ou pire, plus riche ou plus pauvre, en maladie ou en santé, pour t’aimer et t’obéir jusqu’à la mort, et je te donne ma foi.

Le doyen reprit :

- Où est l’anneau ?

Ceci était imprévu. Ebenezer, pris au dépourvu, n’avait pas d’anneau.

Gilliatt ôta la bague d’or qu’il avait au petit doigt, et la présenta au doyen. C’était probablement l’anneau « de mariage » acheté le matin au bijoutier de Commercial-Arcade.

Le doyen posa l’anneau sur le livre, puis le remit à Ebenezer.

Ebenezer prit la petite main gauche, toute tremblante, de Déruchette, passa l’anneau au quatrième doigt, et dit :

- Je t’épouse avec cet anneau.

- Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, dit le doyen.

- Que cela soit ainsi, dit l’évangéliste.

Le doyen éleva la voix :

- Vous êtes époux.

- Que cela soit, dit l’évangéliste.

Le doyen reprit :

- Prions.

Ebenezer et Déruchette se retournèrent vers la table et se mirent à genoux.

Gilliatt, resté debout, baissa la tête.

Eux s’agenouillaient devant Dieu, lui se courbait sous la destinée.