mercredi 6 mai 2009, par Hugo Victor-Marie
J’aime et j’attends.
Vous êtes la forme vivante de la bénédiction.
Monsieur, balbutia Déruchette, je ne savais pas qu’on me remarquait le dimanche et le jeudi.
La voix continua :
On ne peut rien contre les choses angéliques.
Toute la loi est amour. Le mariage, c’est Chanaan.
Vous êtes la beauté promise. Ô pleine de grâce, je vous salue.
Déruchette répondit :
Je ne croyais pas faire plus de mal que les autres personnes qui étaient exactes.
La voix poursuivit :
Dieu a mis ses intentions dans les fleurs, dans l’aurore, dans le printemps, et il veut qu’on aime. Vous êtes belle dans cette obscurité sacrée de la nuit. Ce jardin a été cultivé par vous et dans ses parfums il y a quelque chose de votre haleine. Mademoiselle, les rencontres des âmes ne dépendent pas d’elles. Ce n’est pas de notre faute. Vous assistiez, rien de plus ; j’étais là, rien de plus. Je n’ai rien fait que de sentir que je vous aimais. Quelquefois mes yeux se sont levés sur vous. J’ai eu tort, mais comment faire ? c’est en vous regardant que tout est venu. On ne peut s’empêcher. Il y a des volontés mystérieuses qui sont au-dessus de nous.
Le premier des temples, c’est le coeur. Avoir votre âme dans ma maison, c’est à ce paradis terrestre que j’aspire, y consentez-vous ? Tant que j’ai été pauvre, je n’ai rien dit. Je sais votre âge. Vous avez vingt et un an, j’en ai vingt-six. Je pars demain ; si vous me refusez, je ne reviendrai pas. Soyez mon engagée, voulez-vous ? Mes yeux ont déjà, plus d’une fois, malgré moi, fait aux vôtres cette question. Je vous aime, répondez-moi. Je parlerai à votre oncle dès qu’il pourra me recevoir, mais je me tourne d’abord vers vous. C’est à Rebecca qu’on demande Rebecca. À moins que vous ne m’aimiez pas.
Déruchette pencha le front, et murmura :
Oh ! je l’adore !
Cela fut dit si bas que Gilliatt seul entendit.
Elle resta le front baissé comme si le visage dans l’ombre mettait dans l’ombre la pensée.
Il y eut une pause. Les feuilles d’arbres ne remuaient pas. C’était ce moment sévère et paisible où le sommeil des choses s’ajoute au sommeil des êtres, et où la nuit semble écouter le battement de coeur de la nature. Dans ce recueillement s’élevait, comme une harmonie qui complète un silence, le bruit immense de la mer.
La voix reprit :
Mademoiselle.
Déruchette tressaillit.
La voix continua :
Hélas ! j’attends.
Qu’attendez-vous ?
Votre réponse.
Dieu l’a entendue, dit Déruchette.
Alors la voix devint presque sonore, et en même temps plus douce que jamais. Ces paroles sortirent du massif, comme d’un buisson ardent :
Tu es ma fiancée. Lève-toi, et viens. Que le bleu plafond où sont les astres assiste à cette acceptation de mon âme par ton âme, et que notre premier baiser se mêle au firmament !
Déruchette se leva, et demeura un instant immobile, le regard fixé devant elle, sans doute sur un autre regard. Puis, à pas lents, la tête droite, les bras pendants et les doigts des mains écartés comme lorsqu’on marche sur un support inconnu, elle se dirigea vers le massif et y disparut.
Un moment après, au lieu d’une ombre sur le sable il y en avait deux, elles se confondaient, et Gilliatt voyait à ses pieds l’embrassement de ces deux ombres.
Le temps coule de nous comme d’un sablier, et nous n’avons pas le sentiment de cette fuite, surtout dans de certains instants suprêmes. Ce couple d’un côté, qui ignorait ce témoin et ne le voyait pas, de l’autre ce témoin qui ne voyait pas ce couple, mais qui le savait là, combien de minutes demeurèrent-ils ainsi, dans cette suspension mystérieuse ? Il serait impossible de le dire.
Tout à coup, un bruit lointain éclata, une voix cria : Au secours ! et la cloche du port sonna. Ce tumulte, il est probable que le bonheur, ivre et céleste, ne l’entendit pas.
La cloche continua de sonner. Quelqu’un qui eût cherché Gilliatt dans l’angle du mur, ne l’y eût plus trouvé.