mardi 5 mai 2009, par Hugo Victor-Marie
Il se tient tout entier hors de l’écume, et, s’il y a à l’horizon des navires en détresse, blême dans l’ombre, la face éclairée de la lueur d’un vague sourire, l’air fou et terrible, il danse. C’est là une vilaine rencontre. À l’époque où Gilliatt était une des préoccupations de Saint-Sampson, les dernières personnes qui avaient vu le Roi des Auxcriniers déclaraient qu’il n’avait plus à sa pèlerine que treize coquilles. Treize ; il n’en était que plus dangereux. Mais qu’était devenue la quatorzième ? L’avait-il donnée à quelqu’un ? Et à qui l’avait-il donnée ? Nul ne pouvait le dire, et l’on se bornait à conjecturer. Ce qui est certain, c’est que M. Lupin-Mabier, du lieu les Godaines, homme ayant de la surface, propriétaire taxé à quatre-vingts quartiers, était prêt à jurer sous serment qu’il avait vu une fois dans les mains de Gilliatt une coquille très singulière.
Il n’était point rare d’entendre de ces dialogues entre deux paysans :
N’est-ce pas, mon voisin, que j’ai là un beau boeuf ?
Bouffi, mon voisin.
Tiens, c’est vrai tout de même.
Il est meilleur en suif qu’il n’est en viande.
Ver dia !
Êtes-vous certain que Gilliatt ne l’a point regardé ?
Gilliatt s’arrêtait au bord des champs près des laboureurs et au bord des jardins près des jardiniers, et il lui arrivait de leur dire des paroles mystérieuses :
Quand le mors du diable fleurit, moissonnez le seigle d’hiver.
(Parenthèse : le mors du diable, c’est la scabieuse.)
Le frêne se feuille, il ne gèlera plus.
Solstice d’été, chardon en fleur.
S’il ne pleut pas en juin, les blés prendront le blanc. Craignez la nielle.
Le merisier fait ses grappes, méfiez-vous de la pleine lune.
Si le temps, le sixième jour de la lune, se comporte comme le quatrième ou comme le cinquième jour, il se comportera de même, neuf fois sur douze dans le premier cas, et onze fois sur douze dans le second, pendant toute la lune.
Ayez l’oeil sur les voisins en procès avec vous.
Prenez garde aux malices. Un cochon à qui on fait boire du lait chaud, crève. Une vache à qui on frotte les dents avec du sureau, ne mange plus.
L’éperlan fraye, gare les fièvres.
La grenouille se montre, semez les melons.
L’hépatique fleurit, semez l’orge.
Le tilleul fleurit, fauchez les prés.
L’ypréau fleurit, ouvrez les bâches.
Le tabac fleurit, fermez les serres.
Et, chose terrible, si l’on suivait ses conseils, on s’en trouvait bien.
Une nuit de juin qu’il joua du bag-pipe dans la dune, du côté de la Demie de Fontenelle, la pêche aux maquereaux manqua.
Un soir, à la marée basse, sur la grève en face de sa maison du Bû de la Rue, une charrette chargée de varech versa. Il eut probablement peur d’être traduit en justice, car il se donna beaucoup de peine pour aider à relever la charrette, et il la rechargea lui-même.
Une petite fille du voisinage ayant des poux, il était allé à Saint-Pierre-Port, était revenu avec un onguent, et en avait frotté l’enfant ; et Gilliatt lui avait ôté ses poux, ce qui prouve que Gilliatt les lui avait donnés.
Tout le monde sait qu’il y a un charme pour donner des poux aux personnes.
Gilliatt passait pour regarder les puits, ce qui est dangereux quand le regard est mauvais ; et le fait est qu’un jour, aux Arculons, près Saint-Pierre-Port, l’eau d’un puits devint malsaine. La bonne femme à qui était le puits dit à Gilliatt : Voyez donc cette eau. Et elle lui en montra un plein verre. Gilliatt avoua. L’eau est épaisse, dit-il ; c’est vrai. La bonne femme, qui se méfiait, lui dit : Guérissez-moi-la donc. Gilliatt lui fit des questions : - Si elle avait une étable ? - si l’étable avait un égout ? - si le ruisseau de l’égout ne passait pas tout près du puits ? - La bonne femme répondit oui.