mardi 5 mai 2009, par Hugo Victor-Marie
Les crédules ont tort, sans doute, mais à coup sûr les positifs n’ont pas raison. Le problème persiste.
Ce qui est sûr, c’est que la maison passe pour avoir été plutôt utile que nuisible aux contrebandiers.
Le grossissement de l’effroi ôte aux faits leur vraie proportion. Sans nul doute, bien des phénomènes nocturnes, parmi ceux dont s’est peu à peu composé le
« visionnement » de la masure, pourraient s’expliquer par des présences obscures et furtives, par de courtes stations d’hommes tout de suite rembarqués, tantôt par les précautions, tantôt par les hardiesses de certains industriels suspects se cachant pour mal faire et se laissant entrevoir pour faire peur.
À cette époque déjà lointaine, beaucoup d’audaces étaient possibles. La police, surtout dans les petits pays, n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Ajoutons que, si cette masure était, comme on le dit, commode aux fraudeurs, leurs rendez-vous devaient avoir là jusqu’à un certain point leurs coudées franches, précisément parce que la maison était mal vue. Être mal vue l’empêchait d’être dénoncée. Ce n’est guère aux douaniers et aux sergents qu’on s’adresse contre les spectres. Les superstitieux font des signes de croix et non des procès-verbaux. Ils voient ou croient voir, s’enfuient et se taisent. Il existe une connivence tacite, non voulue, mais réelle, entre ceux qui font peur et ceux qui ont peur. Les effrayés se sentent dans leur tort d’avoir été effrayés, ils s’imaginent avoir surpris un secret, ils craignent d’aggraver leur position, mystérieuse pour eux-mêmes, et de fâcher les apparitions.
Ceci les rend discrets. Et, même en dehors de ce calcul, l’instinct des gens crédules est le silence ; il y a du mutisme dans l’épouvante ; les terrifiés parlent peu ; il semble que l’horreur dise : chut !
Il faut se souvenir que ceci remonte à l’époque où les paysans guernesiais croyaient que le mystère de la Crèche était tous les ans, à jour fixe, répété par les boeufs et les ânes ; époque où personne, dans la nuit de Noël, n’eût osé pénétrer dans une étable, de peur d’y trouver les bêtes à genoux.
S’il faut ajouter foi aux légendes locales et aux récits des gens qu’on rencontre, la superstition autrefois a quelquefois été jusqu’à suspendre aux murs de cette maison de Plainmont, à des clous dont on voit encore çà et là la trace, des rats sans pattes, des chauves-souris sans ailes, des carcasses de bêtes mortes, des crapauds écrasés entre les pages d’une bible, des brins de lupin jaune, étranges ex-voto, accrochés là par d’imprudents passants nocturnes qui avaient cru voir quelque chose, et qui, par ces cadeaux, espéraient obtenir leur pardon, et conjurer la mauvaise humeur des stryges, des larves et des brucolaques. Il y a eu de tout temps des crédules aux abacas et aux sabbats, et même d’assez haut placés.
César consultait Sagane, et Napoléon mademoiselle Lenormand. Il est des consciences inquiètes jusqu’à tâcher d’obtenir des indulgences du diable. « Que Dieu fasse et que Satan ne défasse pas ! », c’était là une des prières de Charles-Quint. D’autres esprits sont plus timorés encore. Ils vont jusqu’à se persuader qu’on peut avoir des torts envers le mal.
Être irréprochable vis-à-vis du démon, c’est une de leurs préoccupations. De là des pratiques religieuses tournées vers l’immense malice obscure. C’est un bigotisme comme un autre.
Les crimes contre le démon existent dans certaines imaginations malades ; avoir violé la loi d’en bas tourmente de bizarres casuistes de l’ignorance ; on a des scrupules du côté des ténèbres. Croire à l’efficacité de la dévotion aux mystères du Brocken et d’Armuyr, se figurer qu’on a péché contre l’enfer, avoir recours pour des infractions chimériques à des pénitences chimériques, avouer la vérité à l’esprit de mensonge, faire son meâ culpâ devant le père de la Faute, se confesser en sens inverse, tout cela existe ou a existé ; les procès de magie le prouvent à chaque page de leurs dossiers. Le songe humain va jusque-là. Quand l’homme se met à s’effarer, il ne s’arrête point. On rêve des fautes imaginaires, on rêve des purifications imaginaires, et l’on fait faire le nettoyage de sa conscience par l’ombre du balai des sorcières.
Quoi qu’il en soit, si cette maison a des aventures, c’est son affaire ; à part quelques hasards et quelques exceptions, nul n’y va voir, elle est laissée seule ; il n’est du goût de personne de se risquer aux rencontres infernales.
Grâce à la terreur qui la garde, et qui en éloigne quiconque pourrait observer et témoigner, il a été de tout temps facile de s’introduire la nuit dans cette maison, au moyen d’une échelle de corde, ou même tout simplement du premier échalier venu pris aux courtils voisins. Un en-cas de hardes et de vivres apporté là permettrait d’y attendre en toute sécurité l’éventualité et l’à-propos d’un embarquement furtif.
La tradition raconte qu’il y a une quarantaine d’années, un fugitif, de la politique selon les uns, du commerce selon les autres, a séjourné quelque temps caché dans la maison visionnée de Plainmont, d’où il a réussi à s’embarquer sur un bateau pêcheur pour l’Angleterre.
D’Angleterre on gagne aisément l’Amérique.
Cette même tradition affirme que des provisions déposées dans cette masure y demeurent sans qu’on y touche ; Lucifer, comme les contrebandiers, ayant intérêt à ce que celui qui les a mises là revienne.
Du sommet où est cette maison, on aperçoit au sud-ouest, à un mille de la côte, l’écueil des Hanois.
Cet écueil est célèbre. Il a fait toutes les mauvaises actions que peut faire un rocher. C’était un des plus redoutables assassins de la mer. Il attendait en traître les navires dans la nuit. Il a élargi les cimetières de Torteval et de la Rocquaine.
En 1862 on a placé sur cet écueil un phare.
Aujourd’hui l’écueil des Hanois éclaire la navigation qu’il fourvoyait ; le guet-apens a un flambeau à la main. On cherche à l’horizon comme un protecteur et un guide ce rocher qu’on fuyait comme un malfaiteur. Les Hanois rassurent ces vastes espaces nocturnes qu’ils effrayaient. C’est quelque chose comme le brigand devenu gendarme.
Il y a trois Hanois : le grand Hanois, le petit Hanois,et la Mauve.
C’est sur le petit Hanois qu’est aujourd’hui le « Light Red ».
Cet écueil fait partie d’un groupe de pointes, quelques-unes sous-marines, quelques-unes sortant de la mer. Il les domine. Il a, comme une forteresse, ses ouvrages avancés ; du côté de la haute mer, un cordon de treize rochers ; au nord, deux brisants, les Hautes-Fourquies, les Aiguillons, et un banc de sable, l’Hérouée ; au sud, trois rochers, le Cat-Rock, la Percée et la Roque Herpin ; plus deux boues, la South Boue et la Boue le Mouet, et en outre, devant Plainmont, à fleur d’eau, le Tas de Pois d’Aval.
Qu’un nageur franchisse le détroit des Hanois à Plainmont, cela est malaisé, non impossible. On se souvient que c’était une des prouesses de sieur Clubin.
Le nageur qui connaît ces bas-fonds a deux stations où il peut se reposer, la Roque ronde, et plus loin, en obliquant un peu à gauche, la Roque rouge.